La vérité sur la fin de MPM Motors, constructeur français des PS160 et ERELIS. Interview exclusive du fondateur, Igor Paramonov
Il y a deux jours, la direction de MPM Motors annonçait sa mise en liquidation. Nous avons rencontré Igor Paramonov pour sa dernière interview comme patron de la marque. Il nous raconte les débuts, la vie et la mort de cette marque automobile. Mais est-ce vraiment la fin? Beaucoup de choses ont été dites ces derniers jours, nous sommes donc partis à la rencontre de la direction de la marque, pour une interview vérité des principaux intéressés. Il nous livre sa vérité.
MPM Motors c’est quoi?
Pour ceux qui n’ont pas suivi, MPM Motors est un constructeur français de voitures, installé à Trappes en 2014 pour y construire un premier modèle, la PS160, une voiture dérivée de la Tagaz Aquila, une voiture russe produite à quelques dizaines d’exemplaires. Après la faillite de Tagaz, dirigé par Mikhail Paramonov, le projet renaît quelques années plus tard, en France, aux mains d’Igor Paramonov, le fils, sous le nom de MPM Motors. A l’époque, je suis un modeste débutant de la presse auto et le premier journaliste à contacter la société encore inconnue. Plus tard, je rencontrerai Igor une première fois pendant toute une journée. Après un essai de la voiture en exclusivité, il me fera visiter l’usine et me tiendra au courant de l’évolution de la marque, pendant 4 ans avec son responsable communication Guillaume de Berry. Jusqu’à ce coup de fil cette semaine :
“Niko, on va annoncer la fin de MPM tout à l’heure sur Facebook. Si tu veux boucler la boucle, tu peux venir nous voir à l’usine demain matin”.
Mais que s’est-il passé en quatre ans pour en arriver là?
Trappes, usine MPM Motors, 2 décembre 2020
Accompagné de mon fidèle Jack Stouvenin, je me pointe devant la grille de l’usine avec quelques minutes d’avance. Tout semble fermé dans la cour de l’usine, mais ce n’est pas une surprise, c’est le cas depuis quasiment deux ans. Subsistent tout de même quelques voitures de clients en SAV et, au fond de la cour, une vingtaine de caisses plus ou moins entières, ayant servi à différents tests ou homologations. Igor n’est pas encore arrivé, mais une berline s’arrête à notre niveau. Et je sens qu’il a très envie de nous parler, de nous raconter, sa vérité à lui, sur la fin de MPM.
Bureaux vides
A l’étage de l’usine, les bureaux sont toujours là. Mais les lieux sont vides. Rien n’a bougé, Igor nous reçoit dans un salon. Les 20 derniers employés qui étaient présents dans la société sont partis. “Il reste de quoi faire un café” m’annonce en souriant Igor. On va pouvoir commencer. Et si on reprenait tout depuis le début? “Quand on a commencé ici, on était 5 personnes. C’est effectivement mon père qui avait monté le projet Tagaz Aquila en Russie, mais moi je n’étais pas présent en Russie à ce moment-là. J’habitais déjà en France depuis longtemps. Je suis d’ailleurs français depuis bientôt vingt ans.” Une remarque qui aura son importance pour la suite.
Le modèle Tesla
“L’idée était de reprendre ce projet russe qui n’avait pas eu le temps d’aller au bout pour faire nos premiers pas dans l’industrie automobile. Tu sais, Elon Musk a commencé comme ça. Au départ, quand il a racheté Tesla, il avait une vision. Mais la première Tesla était une Lotus Elise avec un moteur électrique. C’est là qu’on a commencé à retrouver les fournisseurs de l’Aquila, le fabricant de châssis, de chaque pièce qui compose cette voiture. On a construit un premier proto, puis un second, etc. Après avoir homologué la voiture, on a lancé le processus d’industrialisation. Cela n’a pas été simple. Dès le départ, personne ne nous a suivi. Pas une banque française n’a souhaité nous prêter le moindre centime. La première fois que je suis allé dans une agence bancaire et que la nana a tapé mon nom, ils m’ont dit qu’il fallait la validation de la direction pour ouvrir un compte. J’ai répondu que j’étais français. On m’a répondu que ça ne changeait pas mon lieu de naissance. Si vous êtes d’origine Russe, vous êtes coupable. On a donc fait autrement. Il me fallait jongler avec trois choses : améliorer le modèle PS160 pour qu’il soit vendable, faire tourner la boutique en investissant pour l’outil de production, et penser à l’avenir en investissant massivement pour les futurs modèles que vous voyez derrière moi” me raconte Igor, en montrant du doigt l’immense affiche affichant la gamme complète de ce que devait être MPM Motors dans quelques années.
Une mauvaise voiture?
Je lance alors Igor sur la qualité de la voiture. Les avis ne sont guère élogieux de la part des possesseurs de PS160 ou d’Erelis, sa version modernisée. “Tu le sais, puisque tu l’as essayé, la voiture n’était pas parfaite. Les premières produites étaient même très perfectibles. C’est un fait. Mais chaque jour, nous n’avons eu de cesse de faire progresser la voiture. Et nous avons en partie réussi. Il n’y a pas un défaut, un problème, sur la voiture, qu’on ne connaît pas et qu’on ne sache pas régler. Le problème c’est pas la compétence, c’est l’argent. On a développé un modèle théorique de production automobile avec des idées nouvelles, des process nouveaux et on a en partie réussi. De la théorie à la pratique, quand on avait les pièces, les employés, on arrivait à produire deux véhicules par heure avec 150 employés dans une micro usine de 5000 m2. Les premières PS160 ont laissé place à l’Erelis avec un moteur moderne et plein d’améliorations. Les pièces étaient de meilleure qualité, elle offrait de bonnes performances et la qualité progressait. Mais à un moment il faut choisir. On pouvait améliorer encore et encore, à coups de millions, l’Erelis. Mais cette voiture avait également des problèmes de conception. La hauteur sous plafond était problématique, le coffre était étriqué, deux exemples de choses que je ne pouvais pas changer. Il fallait donc investir pour développer une nouvelle gamme, de notre conception. Ce que nous avons fait, mais on ne nous a pas laissé aller au bout”, me rappelle Igor.
Comment se passait le SAV?
“Au départ on a lancé la PS160 en version pré-série. Les voitures étaient vendues 8000€ mais elles n’étaient pas parfaites. J’ai rapidement mis en place un service SAV pour pallier aux éventuelles difficultés. Deux équipes de mécaniciens mobiles tournaient. Une équipe qui descendait dans le sud de la France et allait réparer les problèmes, et une autre pour le nord du pays. Le service était parfait et personne ne se plaignait. Mais quand sont apparus nos premiers problèmes économiques, j’ai dû mettre fin à ce système. Le SAV était géré directement à l’usine, avec moins de réactivité. Quand l’argent rentre et que vous faites du chiffre d’affaires, vous pouvez dépenser 500€ ici, ou 1000€ là pour envoyer un mécano avec un camion. Mais quand l’argent ne rentre plus, c’est impossible. Dans le même temps, on a commencé à avoir un vrai réseau de distributeurs.” reconnaît Igor Paramonov.
Comment est né le partenariat avec Peugeot?
“Avec la PS160 on avait un moteur Mitsubishi dépassé en termes d’émissions. Avec l’instauration du malus, ça devenait impossible à tenir en prix final. Peugeot est venu nous voir via sa filiale chargée de vendre des moteurs. On a négocié la fourniture des Puretech 130. Ce n’était pas simple pour eux de nous vendre seulement quelques moteurs. On a reçu deux moteurs qu’on a pu mettre dans des voitures pour passer les homologations. Je suis parti un mois et demi en Angleterre chez Ricardo pour les tests d’émissions. On a travaillé chaque jour pour aller au plus vite. Pendant ce temps, un ingénieur était en Hollande pour d’autres tests. C’est long et surtout extrêmement coûteux. Rien qu’en Angleterre on a reçu une facture de presque 200 000€. Mais la voiture était aux normes. Malheureusement, Peugeot est une énorme boîte et nous une toute petite. Ça a mis quatre mois avant de recevoir les blocs pour la production de série. Ils ne savaient tout simplement pas comment faire pour nous vendre seulement quelques moteurs. Mais de tous nos fournisseurs, Peugeot a été le plus loyal, et de loin le plus efficace.”
Justement les fournisseurs, ils étaient chinois?
“Au départ on a retrouvé les fournisseurs de la Tagaz. Le châssis lui, vient d’Ukraine. Il est assemblé à la main par notre propre filiale dans le pays. Historiquement, l’Ukraine maîtrise la production d’acier et de métaux. Du temps de l’URSS, c’est de là que venaient les productions de ce type. Pour le reste, oui certaines pièces venaient de Chine. Mais rapidement nous nous sommes aperçus d’une chose. Acheter des pièces en provenance de Chine n’est pas économique. Comme je te l’expliquais tout à l’heure, nous n’avions pas de garantie bancaire des banques françaises. Une des solutions était donc de se faire payer par nos distributeurs à la commande, la moitié environ du prix de l’auto. Et en même temps de payer nos fournitures à trois mois. Quand vous faites venir de Chine, il y a un mois et demi de bateau. Après vous devez gérer la douane. C’est une perte de temps énorme, qui coûte beaucoup d’argent. L’autre problème c’est aussi parfois les quantités. Vous commandez un ciel de toit en Chine. Ils vous donnent un prix. Au moment de commander ils vous demandent 500 unités minimum. Mais si tu vas voir un autre fournisseur, il est au même prix, mais pour 50 unités. Donc tu retournes voir ton Chinois. Mais le plus gros problème c’est que les 500 pièces reçues ne ressemblent pas trop à ce qu’ils t’ont montré à la commande. Tu sais que tu vas en jeter 20%.”
A ce moment-là, Igor nous montre un siège d’Erelis, prêt à être monté sur une des voitures partiellement assemblées sur la chaîne de montage.
“Tu vois ce siège, il coûte 35 dollars. Fabriquer un siège, ça coûte rien. Mais c’est le transporter qui coûte cher, parce que ça prend de la place dans un conteneur. Moi je voulais les fabriquer ici. Monter une usine de sièges, mais on a jamais eu l’argent pour le faire. Donc je suis Français mais je suis obligé d’acheter en Chine, ce siège qui, entre nous, n’est pas très confortable. J’aurais aimé aussi fabriquer les pièces de carrosserie ici, mais mêmes causes, mêmes effets. Cela réclame beaucoup d’investissements de départ.”
Quel est le réel lien entre Tagaz, créé par ton père, et MPM Motors?
“J’ai l’impression que tout à été dit là dessus, mais rarement la vérité.” Igor marque une pause, et reprend : “Quand mon père était à la tête de Tagaz, en Russie, je n’étais plus dans le pays depuis longtemps. Je ne sais donc pas tout sur cette histoire. Avec mon frère, on avait une boîte de VTC qui marchait bien. Moi j’ai toujours voulu fabriquer des voitures. Peut-être, effectivement, pour reprendre le flambeau. Mais quand mon père a quitté la Russie, il était ruiné. Les banques avaient tout pris et des gens s’étaient appropriés ses entreprises. Il faut comprendre qu’à un moment, il produisait 15 000 voitures par mois dans son usine. Il a commencé à assembler des Daewoo puis le constructeur a fait faillite. Il s’est donc positionné sur des CKD pour Hyundai. Il leur a ouvert le marché Russe. Aujourd’hui Hyundai est le deuxième plus gros vendeur en Russie derrière Lada. L’usine était capable de produire jusqu’à 500 000 voitures par an. Mais visiblement ça n’a pas plus à tout le monde. Moi quand j’ai voulu me lancer à mon tour, je connaissais ce projet Aquila. Je me suis dit qu’il serait plus facile de partir de cette base pour développer quelque chose de nouveau ensuite. C’est ce que nous avons fait. Mais ce sont bien deux entreprises différentes.”
Tu m’avais montré un projet de voiture électrique urbaine, qu’est devenu ce projet?
“Effectivement. Pour moi, il fallait sortir rapidement de l’Erelis, pour viser le Mass Market avec un modèle populaire, électrique, urbain et accessible. On a développé ici une petite électrique, la Solis. Elle devait exister en 3 tailles différentes. Une petite deux places, comme une Smart, une 4 places et une citadine 5 portes. On a construit des protos. J’en ai même conduit un sur la route pour aller les montrer à notre convention de concessionnaires. Aujourd’hui la France veut se positionner comme le leader des énergies vertes. On oblige tout le monde à acheter des voitures électriques, et donc à en fabriquer. L’état distribue des bonus pour inciter à l’achat de voitures électriques. Et en même temps on promet des aides à l’innovation. On a monté tous les dossiers possibles pour obtenir ces aides. On nous a répondu que construire une voiture électrique en France n’était pas assez innovant. Pendant ce temps là, les bus électriques à Paris, achetés par l’état, sont Chinois. Pourquoi achète-t-on des bus chinois dans un pays comme la France? On n’a jamais reçu la moindre aide, dès le départ.”
Justement, l’image sulfureuse de l’entreprise et ses origines Russes ont-elles été déterminantes?
“Comme je te l’expliquais. Dès le début, aucune banque n’a voulu de nous. Toutes les aides de l’État Français nous ont été refusées. Même chez Pôle Emploi ils ne nous ont pas aidé. Je suis allé les voir en leur disant : trouvez moi cinquante ouvriers. Ils nous ont promis trois mois de salaires pris en charge par l’État. Quand les employés sont arrivés, ils nous ont finalement dit qu’ils avaient fait une erreur, et que c’était en fait trois…semaines. Mais c’est allé bien plus loin.”
C’est 200 familles de Trappes et des alentours qui ont mangé grâce à cette entreprise. Tu sais que le Maire de Trappes n’est jamais venu nous voir. La ville de Trappes aujourd’hui est connue…pour son nombre record de jeunes qui partent faire le Jihad. Un constructeur s’implante dans la ville et monte une usine de voitures, et on ne vient pas le voir. Je suis passé deux ou trois fois à la mairie de Trappes. Pour leur dire qu’on existait, et les inviter à visiter l’usine, à nous rencontrer. Ils ne sont jamais venus. Grâce à des fous comme nous qui ont créé une usine de voitures, on a développé de l’activité dans cette ville. Le résultat est simple : on va aller ailleurs.”
Tu veux dire que MPM c’est peut-être pas terminé?
“C’est ce que je veux dire. Aujourd’hui MPM Motors c’est fini. En France c’est tout simplement impossible. Mais je suis en négociations avec plusieurs pays qui pourraient accueillir un projet automobile avec de nouveaux investisseurs. On a développé un vrai savoir-faire. En partant de zéro on a réussi à monter une usine, développer de nouveaux modèles quasiment à leur terme, on a fabriqué des voitures, franchi toutes les étapes. Tu vois ça ?” Igor me montre un début de calvitie sur son crâne “J’ai perdu un paquet de cheveux en six ans ici. On a tout donné pour MPM Motors. Guillaume (le responsable communication de la marque), lui c’est les cheveux blancs. On a pas fait tout ça pour rien.
Mais est-ce que les MPM ont trouvé leur clientèle?
“On a vendu tout ce qu’on a fabriqué. En tout, on en a produit environ un millier, dont 200 Erelis. En France, on a dû écouler un peu moins d’une centaine de voitures. En Belgique ça a bien marché. On avait un super distributeur. On en a vendu une bonne centaine là-bas, plus qu’en France. On avait sur place une dizaine de points de vente. En Allemagne environ 80 MPM roulent. Le reste est parti dans le monde entier. En Espagne le marché était très prometteur. On avait signé un accord avec un importateur présent sur place. Il y avait 80 points de vente qui attendaient nos voitures. Tu calcules une voiture minimum par point de vente, on avait déjà une petite centaine de commandes. Malheureusement, c’est à ce moment là que les choses se sont sérieusement compliquées pour nous”.
Quel a été le moment où ça a basculé ?
“Je dirais, quand nous sommes passés à l’Erelis. Premièrement, les acheteurs ne voulaient plus de la PS160, sachant que la nouvelle arrivait. Ensuite, le début de la production qui aurait dû intervenir en mars a été retardé et n’a commencé qu’en septembre. Les homologations ont pris du temps, ensuite on a attendu les moteurs longtemps, et tout prend toujours du temps. La montée en cadence à pris du temps et l’argent ne rentrait plus. On avait investi sur l’avenir, mais c’est le quotidien qui nous coûtait beaucoup d’argent aussi. On manquait juste de trésorerie. A un moment, ça a commencé à coincer pour acheter des pièces. C’était le début de la fin. A partir du moment où on a stoppé la production, c’était mort. C’est un effort énorme, financièrement et humainement, de reprendre la production. On avait des contacts avec des investisseurs, mais ça ne s’est pas fait à temps”.
2